Pour une Histoire du Saxophone – suite de l’Article de Jean Marie Londeix ASaFra 1980
(Suite du Bulletin n° 17)
Le Saxophone à l’Opéra :
Plusieurs compositeurs amis d’Adolphe SAX séduits par les possibilités originales du saxophone utilisent – le nouvel instrument dans l’orchestration de leurs œuvres. Ils choisiront généralement et tout d’abord le saxophone baryton, plus tard l’alto, ensuite le ténor : Hector BERLIOZ « Chant Sacré » (1844), George KASTNER (1810-1867) « Le Dernier Roi de Juda » — Opéra biblique de 1844, 2 Ouvertures de Festival (1846 ?), A. LIMMANDER « Le Château de Barbe-Bleue » (1851) ; HALEVY « Le Juif Errant » (1852), MEYERBEER « L’Africaine » (1864), Ambroise THOMAS «Hamlet » (1868), Georges BiZET « L ‘Arlésienne » (1873), Léo DELI BES « Sylvia » (1876) ; Jules MASSENET « Le Roi de Lahore » ( 1877), « La Vierge » (1878), « Hérodiade »(1881), « Françoise de RIMINI » (1882), « Werther » ( 1886), Camille SAINT-SAENS « Henri VIII »(1883), etc.
En 1860, Richard WAGNER demanda à Adolphe SAX par une note manuscrite conservée à l’Opéra de Paris de fournir quelques saxophones pour grossir l ‘armée de cors nécessaire à son « Tannhäuser »…
Vincent d’INDY (1851-1931) également à l’Opéra de Paris, introduira un quatuor de saxophones dans les chœurs pour mieux soutenir les voix. Il utilisera lui-même cette formation dans son « Fetvaal » (1888-95), puis, sur scène et en coulisse un sextuor de saxophones dans la « Légende de St-Christophe » (1908-15), un Quintette dans « Poème des Rivages » (1919-21) ; 2 saxophones dans « Les burgraves du Rhin ». Vincent d’INDY est par ailleurs l’auteur d ’un « Choral Varié » pour saxophone alto et orchestre (1903).
Après une trop longue période de désaffection, le saxophone figure de moins en moins rarement parmi les instruments de l’orchestre lyrique (parfois comme au XIXe siècle dans l’orchestre de scène).
Citons parmi les compositeurs les plus connus : G. PUCCINI , J. HOBROOCKE, G. GERSHWIN, K. WEILL, D. MÏLHAUD, P. HINDEMITH, B. BRITTEN, P. GRAIGNER, A. BERG,A. HONNEGER, J. IBERT, H. TOMASI, S. PROKOFIEV, D. SCHOSTAKOVITCH, L. DALLAPICOLA, L. BERIO, F. MARTIN, H. HENZE, O. KETTING, etc.
Le saxophone dans l’orchestre symphonique :
Nous dénombrons actuellement (en 1980) plus de 2 000 titres d’œuvres symphoniques utilisant un ou plusieurs saxophones. Les saxophones alto ou ténor, à qui sont confiées souvent les phrases essentielles des ouvrages, sont les plus fréquemment employés sur pour les solos. A cette occasion nous nous étonnerons que le saxophone baryton ne soit pas plus souvent utilisé. C’est un instrument maintenant satisfaisant sur le plan de la facture, dont les qualités sont incontestables et les possibilités originales. De plus, le saxophone baryton est quasiment sans rival dans la tessiture grave de l’orchestre. Peut-être cela vient-il du fait que ce saxophone n ‘est pratiquement jamais entendu seul… et que les créateurs manquent de curiosité à son égard…
Citer le nom des compositeurs ayant au moins une fois utilisé un saxophone dans l’orchestre,
reviendrait à citer à peu près tous les compositeurs, depuis 1930 environ…
C’est impossible ici. Nous mentionnerons toutefois : Charles KOECHLIN, Maurice RAVEL, Igor STRAWINSKI, Heitor ViLLALOBOS, R- VAUGHAN-WILLIAMS, Arthur HONNEGER, Jacques IBERT, Darius MILHAUD, Jean ABSIL, Bêla BARTOK, Benjamin BRITTEN, G. PETRASSI, Alban BERG, Tadeuz BAIRD, Léonard BERNSTEIN, John CAGE, Luciana BERIO, Pierre BOULEZ, STOCKHAUSEN, etc.
Le saxophone dans le jazz :
Peu utilisé dans les groupes populaires de musique jazz jusqu’en 1918, le saxophone, à la fin de la Première Guerre Mondiale, va subitement occuper là une des premières places, sinon la première.
Parler des grands saxophonistes jazz (Noirs pour la plupart) équivaudrait à faire l’histoire du jazz, tellement l’instrument est lié à cette incomparable expression musicale. L’adéquation profonde entre l’instrument et la musique jazz a été extraordinaire, grâce aux qualités dionysiaques intrinsèques de l’instrument. A tel point que pour certains mélomanes, le saxophone aujourd’hui… « c’est le jazz ». Ils n’ont pas tort. Mais ajoutons que le saxophone comme la voix, par exemple, peut-être autre chose et servir à l’expression musicale la plus pure, la plus élaborée, la plus haute qui soit.
Le saxophone, instrument concertant :
L’alto est incontestablement le plus fréquemment utilisé en soliste, devant l ‘orchestre. Le répertoire du XIXème siècle (édité par Adolphe SAX lui-même) ne comporte guère que des morceaux de concours, des fantaisies et des airs variés… Au tout début du XXe siècle apparait un répertoire beaucoup plus ambitieux, dont nous sommes redevables à Mme Elisa HALL, riche saxophoniste Américaine qui, pour des raisons de santé (!) se met à jouer du saxophone, puis à commander des œuvres concertantes aux compositeurs les plus en vue : Charles LOEFFLER « Divertissement Espagnol » (1900), Paul GILSON « Concerto » (1902), Vincent d’INDY « Choral Varié » (1903), Claude DEBUSSY « Rapsodie » (1904), Florent SCHMiTT « Légende op. 66 » (1918), etc.
Après un passage-à-vide d’une trentaine d’années ce répertoire va prendre un essor enviable, grâce à Marcel MULE. Le grand maître français, professeur au Conservatoire de Paris depuis 1942, suscite de nombreuses partitions qui vont constituer le fonds d ‘ un répertoire comptant aujourd’hui plus de 6 000 titres ! et va former toute une génération de saxophonistes dont la réputation va s’étendre largement dans le monde entier.
Le saxophone dans l ‘enseignement :
Nous savons que la classe de saxophone annexés en 1857 au Conservatoire de Paris, fut fermée treize années plus tard en raison de la guerre, et de problèmes financiers.
En signe de protestation, la plupart des Conservatoires de musique français ouvrent une classe de saxophone, qu’ils confient généralement au professeur de clarinette ou de basson. Cette situation provisoire non satisfaisante, a duré (et dure malheureusement encore dans certains établissements en 1980) jusqu’à ce que l’Etat demande que l’enseignement du saxophone soit obligatoirement confié à un « spécialiste de l’instrument » .
Les divers succès remportés ici ou là par les saxophonistes mis en compétition avec des musiciens jouant d’un autre instrument, montrent, outre le talent des instrumentalistes et la qualité des maîtres, leur profond enthousiasme et leur foi communicative.
Les classes de saxophone conduites par « un spécialiste de l’instrument » regorgent généralement d’élèves. Ceux-ci, nantis d’un bagage moins facilement acquis qu’on l’imagine communément, vont grossir les rangs des Musiques populaires, des Musiques militaires, des orchestres de jazz ou de variété ; ou, plus rarement et après des études supérieures, longues et vraiment difficiles, devenir saxophonistes professionnels, professeurs d’Ecole de musique ou de conservatoire ; ou encore, éveillés à la musique grâce à cet instrument merveilleux, embrasser la carrière musicale en tant que chef d ’orchestre, compositeur, musicologue ou autre.
Le saxophone en musique de chambre
Du vivant d’Adolphe SAX, les compositeurs se sont intéressés au Quatuor de saxophones :
Soprano, Alto, Ténor, Baryton.
La première œuvre pour quatuor de saxophones digne d’intérêt date de 1858. On la doit à un compositeur maintenant oublié :
Jean-Nicolas SINGELEE (la partition complète a été récemment rééditée chez Molenaart).
Le Quatuor Marcel MLULE a suscité maints quatuors d’une incontestable qualité dont les plus connus sont de GLAZOUNOV, Gabriel PIERNE, Florent SCHMITT, Alfred DESENCLOS, Jean FRANCAIX, Jean RIVIER, etc.
Il est à nouveau impossible de citer les compositeurs écrivant actuellement pour ce type de formation, tant leur nombre est grand.
Aux U.S.A. on trouve des quatuors de saxophones composés de deux altos, d’un ténor et d’un baryton. Cette formation n’est toutefois pas la plus fréquente.
Aux U.S.A. également, on trouve depuis quelques années un très grand nombre de partitions de musique de chambre pour divers instruments dont un saxophone (pas nécessairement l’alto). Cette nouveauté est très intéressante, et mériterait de se répandre partout, comme elle commence à le faire en France, grâce notamment à Paul PAREILLE.
Le saxophone en France et à l’ Etranger :
Nous avons vu que le saxophone est enseigné dans les Conservatoires de France depuis plus d’un siècle. Il n’en va pas de même dans les autres pays où cet instrument est encore considéré (malgré la place qu’il occupe dans le jazz et dans toutes les musiques populaires et les Musiques militaires !) comme marginal…
Aux U.S.A. et au Canada le saxophone dit « classique » est enseigné, parallèlement au jazz, dans la plupart des Universités/Conservatoires de musique. Cela, depuis 1950 environ.
Au Japon et en U.R.S.S. même évolution depuis 1970(*), depuis 1978 en Allemagne. L’Angleterre elle, semble avoir choisi délibérément de faire du saxophone un instrument accessoire… des clarinettistes !
Les autres pays paraissent ignorer (pour combien de temps encore ?) que cet instrument existe…, qu’il a gagné son titre de noblesse et qu’il fait partie intégrante de l’élite musicale du XXe siècle.
Depuis 10 ans ont lieu périodiquement des Congrès Mondiaux de Saxophone. Les deux premiers se sont tenus aux U.S.A. en 1969 et 1970.
Le 3ème au Canada, à Toronto en 1972. Le 4ème en France à Bordeaux (1974). Le 5ème en Angleterre, à Londres en 1976 ; Le 6ème à nouveau aux U.S.A., à Chicago,
en 1979. Le prochain congrès aura lieu en Allemagne, à Nürnberg, en juillet 1982.
Ces congrès rassemblent chaque fois plusieurs centaines de saxophonistes (ainsi, à Bordeaux,700 participants venus de 21 pays différents). Ils permettent aux uns et aux autres de se rencontrer, de se connaître, de s’apprécier mutuellement, d’échanger les points de vue, de dresser un bilan des diverses actions et de les discuter.
Je vais arrêter ce long article, mais sans conclure…
Je dirai seulement à tous ceux que le saxophone intéresse, que mes camarades et moi-même
avons fondé en 1972 l’Association des Saxophonistes de France (AsSaFra), qui regroupe actuellement
plus de 2 000 membres. Ils peuvent se joindre à nous pour travailler à la promotion de cet instrument qu’il ne suffit pas de bien connaître forcément pour être aimé, et qui, pour être parfois caché, n’en est pas moins digne du plus grand intérêt.
Siège de l’AsSaFra : 121, rue Lafayette — 75010 PARIS.
(*) Dans ces derniers pays, grâce à l’action de J.-M. LONDEIX.