Lutz Koppetsch & Marcus Bellheim, Made in Germany

Qu'attendez-vous habituellement d'un CD censé contenir "de la musique pour saxophone du XXe siècle" ? Eh bien, la réponse la plus évidente pour la plupart des gens sera : essentiellement du jazz ou quelque chose comme ça. Après tout, aucun autre instrument n'est aussi étroitement associé à ce genre musical, n'est autant connoté "jazzy" que le saxophone ; après tout, sa sonorité douce et souple, capable de toutes sortes de glissandi et autres gadgets similaires, prédestine cet instrument à être utilisé dans le jazz comme pratiquement aucun autre.
Lutz Koppetsch & Marcus Bellheim
Made in Germany
Label: Spektral Records (Note 1 Musikvertrieb)
Catalogue No : 1288878628326
ASIN : B0049761VC
EAN : 4260130380779
Ref : SRL4-10077
Date de sortie d’origine : 17 décembre 2010
Date de réédition : 1 mai 2018
Durée : 63 minutes
notre avis

Merveilleuse et magnifique ouverture : Hindemith, Sonate pour Alto, op. 14. Au saxophone alto, le début de la fantaisie se fait tout en douceur, comme une précieuse rêverie, devient évanescente, puis se teinte de splendides et brillantes couleurs dans les aigus, avant que de s’emballer passagèrement. Cette divagation explore de multiples registres, offre à l’ouïe des paysages d’une puissante variété. Le thème revient, plus affirmé. Le thème et variations se fond dans les couleurs exploitées dans le premier mouvement, se sur-imprimant d’un aspect incantatoire. Un curieux dialogue s’engage alors avec le piano, aux couleurs étranges, laissant à la fois, excusez la contradiction, une impression de dissonance et d’harmonie. S’ensuite une petite espièglerie, une course poursuite, toute en légèreté, puis toute en puissance. Le finale, quant à lui, est résonnant. Il semble un hymne glorieux et guerrier. Les deux instruments se fondant l’un dans l’autre avec brio, et se répondant, ici et là, ou se complétant, reflet d’une complicité remarquable entre les deux interprètes.
La seconde pièce de l’album est la Sonata Brevis de Bertold Hummel. Le caractère y est totalement différent de la pièce précédente. Plus dynamique, plus rythmée, elle semble plus moderne. En effet, l’allegro est un dialogue percussif entre l’alto et le piano. Les deux instruments se font incisifs, sautent d’un registre à l’autre, du forte au piano, etc. Le tout parsemé d’appoggiatures brillantes. Le second mouvement, sostenuto, est plus ténébreux. Le piano, dans les extrêmes graves, prépare l’entrée mystérieuse du saxophone, qu’il vient compléter de notes aigues toute aussi tendues. Les soufflets et ces notes stridentes, qui étouffent le saxophone, donne à ce mouvement une atmosphère bien singulière. Puis c’est le calme. Le saxophone incante, seul. Et le piano répond, énigmatique. Dans le troisième mouvement, presto, la chasse poursuite reprend de plus belle. Le retour des appoggiatures interpelle l’oreille. Le jeu, qui semblait s’être arrêté, reprend de plus belle entre les deux instruments.
La troisième pièce est la Sonate op. 26 d’Erwin Dressel. Le « Moderato e cantabile » tranche drastiquement de la pièce précédente. Le saxophone chante d’une voix mélodique et triste à la fois, en même temps qu’il gagne progressivement en assurance. On croirait entendre un chant. Le piano en soutien, sonore, soutenu, on croirait entendre tout un orchestre, et on se tromperait à croire entendre un concerto pour saxophone alto. Tous les accents y sont fins et délicats. Tout autre est l’« Intermezzo », enjoué et gai, comme une marche allègre et légère. Il y a comme une insouciance, très vite battue en brèche par une seconde mélodie plus sombre, et qui pourtant s’acharne à maintenir un semblant d’apparence égayée. L’« Adagio » nous ré-entraîne dans l’obscurité. Le piano y accompagne un saxophone aux accents moroses. Les médiums de l’alto sonnent avec une rare profondeur, à tel point que chaque note semble vibrer naturellement ; les aigues, elles chantent, vibrent, vivent, s’élancent enfin dans les nues, et nous déchirent le cœur et l’âme à la fois. Merveilleux. Enfin, l’allegro sonne un retour positif et champêtre. Le saxophone, par endroits, avec ses appels, s’y confondrait avec la trompette, et à un autre, avec ses phrases lyriques, à un hautbois.
Enfin, l’album se clôt sur la Suite orchestrale n°22 op. 24 de Hanns Eisler. Une ouverture toute mystérieuse, sombre et lumineuse à la fois, puis une sorte de formule magique est initiée par le saxophone, tandis que le piano martèle, et martèle encore. Les couleurs y rappellent par moment certains Quatuors de Schostakovitch. Le « Caprice » sonne comme une vieille chanson populaire. Simple, modeste, et pourtant allante, entraînante. Le saxophone soutient tous ses registres, faisant vivre chacune de ses notes. Le calme revient avec l’« Andante », qu’ouvre le piano, dansant, avant que le saxophone n’entre. Les slaps étonnent. Puis c’est le tour du « Marschtempo », qui sonne également comme une danse populaire et entraînante.
A qui ne connaît la musique allemande, cet album offre un petit échantillon très varié et agréable. D’une pièce à l’autre, c’est une surprise incessante. Ces pièces sont si différentes entre elles, comme si les interprètes avaient choisi de jouer de ces contrastes. Cet album est une heureuse découverte.

« MADE IN GERMANY
Qu’attendez-vous habituellement d’un CD censé contenir “de la musique pour saxophone du XXe siècle” ? Eh bien, la réponse la plus évidente pour la plupart des gens sera : essentiellement du jazz ou quelque chose comme ça. Après tout, aucun autre instrument n’est aussi étroitement associé à ce genre musical, n’est autant connoté “jazzy” que le saxophone ; après tout, sa sonorité douce et souple, capable de toutes sortes de glissandi et autres gadgets similaires, prédestine cet instrument à être utilisé dans le jazz comme pratiquement aucun autre. […] Extrait de la brochure, texte de Cornelius Bauer »
Lutz Koppetsch et Markus Bellheim prouvent de façon impressionnante que les instruments de jazz ont aussi des qualités de musique de chambre avec la musique des compositeurs allemands dans le style des années 1920 “dorées”. Ils jouent des œuvres et des arrangements originaux pleins d’atmosphère et de couleurs. Voilà à quoi ressemble le “Made in Germany” !

Paul Hindemith (1895 – 1963):
Sonate op. 11 Nr. 4 für Saxophon und Klavier (original pour Alto)
Bertold Hummel (1925 – 2002):
Sonata Brevis op. 95a für Altsaxophon und Klavier
Erwin Dressel (1909 – 1972):
Sonate op. 26 für Altsaxophon und Klavier
Hanns Eisler (1898 – 1962):
Orchestersuite Nr. 2 op. 24 (Niemandsland. Film)
für Altsaxophon und Klavier

Lutz Koppetsch a grandi à Krefeld, entouré par la musique de sa mère, qui jouait de la guitare classique et du piano. C’est également elle qui remarque le chant joyeux et les sifflements constants de son fils et qui soutient Lutz dans sa recherche d’un instrument adapté. Enfin, Lutz Koppetsch rencontre le fougueux clarinettiste et professeur de musique hongrois Laszlo Dömötör, grâce auquel, après des études initiales de clarinette, il découvre, à l’âge de neuf ans, l’instrument qui semble avoir grandi avec lui depuis lors : le saxophone.

Malgré son grand attachement au rock, au punk et aux big-bands locaux, Lutz est toujours resté fidèle à la musique classique, même à l’adolescence. L’utilisation intensive de l’énergie de sa jeunesse pour vivre les heures nocturnes dans les bars et les concerts de groupes de rock bizarres et une attitude rebelle envers les structures conservatrices de son environnement, qui représente les enseignements de l’ancien lycée humaniste qu’il a fréquenté, contrastent avec l’enthousiasme ininterrompu pour la pratique active de la musique dans un cadre musical classique, en particulier pour le jeu d’ensemble. Avec son quatuor de saxophones Sax Ensemble, Lutz Koppetsch a remporté quatre fois le premier prix du concours “Jugend Musiziert”. Ensemble, les quatre jeunes saxophonistes voyagent comme ambassadeurs musicaux au Japon, en Amérique centrale, en Afrique du Nord et aux États-Unis et inspirent par leurs interprétations sans compromis et leur joie de jouer, toujours à un niveau technique élevé. En Allemagne également, souvent en tant que boursier de la Deutsche Stiftung Musikleben, l’ensemble de saxophones joue dans presque tous les festivals de musique importants et réalise des enregistrements radio et CD.
Dans les dernières années de ses études secondaires, Lutz Koppetsch a commencé à s’impliquer davantage dans la musique, indépendamment de son jeu d’ensemble. Il suit des master classes avec des professeurs de saxophone renommés tels que Claude Delangle, Johannes Ernst et Arno Bornkamp. Avec ce dernier, il commence bientôt sa formation au Conservatorium van Amsterdam. Après d’autres succès aux concours, dont le Concours allemand de musique à Berlin et le Concours international de musique de l’ARD à Munich, et des études ultérieures aux conservatoires de Paris et de Versailles, Lutz Koppetsch a pris la direction de la classe de saxophone de l’Université de musique de Würzburg en 2002, à l’âge de 26 ans, où il a été nommé professeur en 2008.
Outre ses activités d’enseignement, Lutz Koppetsch donne régulièrement des concerts en tant que musicien invité, notamment avec l’Ensemble Modern, l’Orchestre symphonique de la WDR et la Philharmonie de Essen, mais aussi en tant que chambriste, par exemple avec le pianiste Markus Bellheim ou Alexander Schimpf, le Quatuor à cordes Signum et l’Ensemble de quintette à vent DIX, et en tant que soliste, par exemple avec l’Orchestre Gürzenich de Cologne ou la Philharmonie de Würzburg. De 2004 à 2009, Lutz Koppetsch a été membre du quintet Alliage. Les soirées de concert très appréciées du quintette dans toute l’Allemagne et dans de nombreux pays européens ont abouti à l’attribution de l’ECHO Klassik 2005 pour le CD “Una voce poco fa”, une performance célèbre au ZDF Echo-Klassik-Gala 2006 et 2008 du CD “Masquerade” au SonyBMG. Lutz Koppetsch a reçu un autre prix ECHO en 2010 en tant que membre de l’ensemble de saxophones Selmer Saxharmonic pour le CD “Flying Saxophone Circus”.
Lutz Koppetsch joue des instruments d’Henri Selmer Paris et des anches de D’Addario.

Maxime Ralec

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