Kansax Quartet, Rodeando
C’est avec « L’arrivée de la Reine de Sabat » de Handel que le groupe Kansax Quartet ouvre Rodeando (2011). Cette transcription est joyeuse et entraînante, solennelle et légère, explosive. C’est à se demander si, parfois, ce n’est pas une trompette que l’on entendrait. Après presque deux mois de confinement, je vous avoue volontiers que cette musique est d’une aide précieuse. Quoi de mieux pour regonfler son moral ? Cet air entêtant s’inscrit, s’enracine dans votre esprit, et vous surprend quand vous la chantonnez en même temps que vous l’écoutez.
Kansax Quartet, Rodeando
Label: BravoMaestro
Copyright: (C) 2010 Bravo Maestro
Durée : 55:22
Janvier 2011
Copyright: (C) 2010 Bravo Maestro
Durée : 55:22
Janvier 2011
notre avis
C’est avec « L’arrivée de la Reine de Sabat » de Handel que le groupe Kansax Quartet ouvre Rodeando (2011). Cette transcription est joyeuse et entraînante, solennelle et légère, explosive. C’est à se demander si, parfois, ce n’est pas une trompette que l’on entendrait. Après presque deux mois de confinement, je vous avoue volontiers que cette musique est d’une aide précieuse. Quoi de mieux pour regonfler son moral ? Cet air entêtant s’inscrit, s’enracine dans votre esprit, et vous surprend quand vous la chantonnez en même temps que vous l’écoutez.
Le Tango Virtuoso de Thierry Escaich tombe brutalement. Sa brève ouverture, mystérieuse avec ses couleurs contenues, s’envole avec le soprano, qui nous chante quelque sérénade. C’est toute la sensualité argentine qui s’empare de vous. Les quatre saxophones marient leurs timbres et jouent d’un seul corps. Une mélancolie, douce et délicate, s’installent. Et de nouveau du mystère, des dissonances… passagères. Le thème initial réapparaît. C’est ensuite une variation espiègle où l’alto reprend le thème tandis que le soprano se perche dans ses aigus. Et au ténor de larmoyer langoureusement. Cette pièce est merveilleuse et joue amoureusement et harmonieusement des notes et de l’esprit du tango.
L’album s’enténèbre. C’est l’Introduction et Variations sur une ronde populaire de Gabriel Pierné, une autre transcription originale de Kansax Quartet. La pièce a beau être sombre, elle ne nous en berce pas moins. Les couleurs y sont impressionnistes. Les accords résonnent et vibrent, desquels s’échappent un à un les saxophones, avec cet appel, tout en simplicité, qui est comme une invitation à danser la ronde. Une euphorie émerge progressivement, une joie toute naïve et populaire.
Rodeando est une composition originale de David Salleras, saxophoniste, professeur et compositeur espagnol. C’est elle qui donne son titre au présent album. Le soprano appelle les autres saxophones, avec ces notes répétées qui reviennent, ici et là, avec un autre saxophone. Le baryton, grave et sombre, laisse s’échapper l’alto et le soprano, qui deviennent des éclaircis dans ce ciel troublé. C’est une danse que l’on entend, c’est une danse qui nous entraîne. Ce sont des phrases qui s’entament et s’effacent soudainement. On retrouve des couleurs, des idées rythmiques et des élans que le compositeur utilise dans son magnifique et alanguissant duo : La Dernière nuit. Entre ténèbres et lumières, le soprano se fait trompette, lumineuse et éclatante, le ténor chanteur, le baryton obstiné. Ces contrastes, merveilleusement interprété par le quatuor, sont, si je puis dire, une des constante de David Salleras.
Et pour preuve, le Tango pour une Princesse Désespérée reprend, en renouant avec le tango argentin, tous ces contrastes. A l’écoute, nous sommes pris de l’envie de danser, et en même temps les accents tragiques, les phrases languissantes, sentimentales, mourantes et moroses et chagrines, ne manquent pas de nous tirer quelque larme. Mais c’est pour mieux repartir, déterminé, désespéré, ou entêté, pour repartir de plus bel, empli d’un fol espoir, d’une espérance toute naïve, d’une espérance tragique qui ne demande qu’à exploser une nouvelle fois. L’alto grimpe dans les aigus et y tire des accents d’une somptueuse intensité, tandis que le ténor chante mystérieusement et que le soprano s’assombrit, se fait brumeux, avant de s’enluminer de nouveau et enfin de s’interrompre soudainement. Ce sont à chaque fois des avortements sonores qui s’acharnent à se reprendre, comme pour recommencer, rejouer leur aventure qui est comme vouée à l’échec. Et pourtant, l’accord final est d’une luminescence on ne peut plus surprenante.
Que dire de l’Adagio de Samuel Barber ? Elle tranche définitivement avec le reste de l’album. C’est un moment de solitude intense, de recueillement. Les accords sont profonds. Nous vibrons à chaque note. Seuls, infiniment seuls. Les ténèbres nous envahissent, mais toujours nous voyons la lumière éblouissante du ciel, et toujours nous montons vers elle, puis nous redescendons, et remontons. Chaque instrument y a son moment de gloire, son envolée, avant que de s’étioler et s’effacer en douceur. Le climax est atteint, explosif et cependant si contenu… le reste n’est alors plus que souvenirs, tristes et joyeux, d’une mélancolie qui s’exalte et s’afflige elle-même.
Para Lucirce, « pour se montrer », c’est l’exubérance latine qui s’étale. Elle ouvre un cycle de trois morceaux du très célèbre Astor Piazzola, aux contrastes si étonnants. Et c’est ce qui fait de lui un fantastique compositeur. Le deuxième morceau est déchirant, comme angoissé : Le que Vendra, ou « Ce qui viendra ». L’angoisse du futur, l’incertitude face à l’avenir. Les accents nous pénètrent et nous déchirent, les saxophones s’enténèbrent, et tout d’un coup s’enjaillent puis s’apaisent. Enfin ils surenchérissent : ce sont des envolées, une course poursuite, de la joie, des slaps, du mystère et enfin se figent. Libertango est l’illustration même de ces jeux musicaux de la course poursuite, entraînante, endiablée, et de ces saxophones qui chantent en-dehors, avec de touchants accents qui vous bouleversent par leur pathétisme. Ces soli sont l’occasion de prouesses techniques qui sonnent comme des improvisations magistralement orchestrées. Elles se fondent les unes aux autres, et du soliloque nous passons au colloque.
Avant dernier moceau, Pequeña Czardas de Pedro Ituralde. Je m’en veux de m’être aussi étendu auparavant, car, jusqu’ici, tout ce qui a été dit s’applique également à cette charmante pièce. Ici, la légèreté et la gaîté, surtout, l’emportent sur le reste.
Eric Lochu, avec son Deguy Jazz, clos avec nonchalance, presque avec dilettantisme, l’album. On y retrouve des couleurs de Brass Band à l’ancienne. C’est une ballade des temps anciens. Pleine de contrastes également, les airs se retiennent et se chantonnent avec la plus grande facilité.
Cet album est, à mon sens, une des plus belles images que, culturellement, nous ayons de l’âme hispanique : toute faite de contrastes, capable d’aller du désespoir à la joie la plus intense. Rodeando de Kansax Quartet est une merveilleuse découverte et un précieux enregistrement pour le saxophone.
Maxime Ralec