Interview Fabrice MORETTI
- Fabrice, tu as travaillé très jeune avec Daniel DEFFAYET. Quelle influence a-t-il eue sur toi ?
J’ai débuté le saxophone au C.R.R. de Nancy avec Jean LEDIEU. Mais c’est la rencontre avec le jeu de Daniel DEFFAYET qui a changé ma vie : une véritable révélation !
Une sonorité unique et lumineuse qui se mariait à merveille avec un style élégant et un phrasé plein de noblesse.
Il possédait une très grande culture musicale, qui venait en partie de son apprentissage du violon. N’oublions pas qu’il avait obtenu un deuxième prix de violon au
C.N.S.M.D.P. Son oreille était impressionnante… Je me souviens qu’il était en mesure de saisir immédiatement le style de chaque oeuvre et d’entendre les défauts de chaque
pupitre durant les répétitions à l’orchestre symphonique. - Quand as-tu rencontré Daniel DEFFAYET pour la première fois ?
Notre première rencontre date du concours d’entrée du C.N.S.M.D.P. en 1980. Ayant été admissible, je décide naturellement de suivre son enseignement et rejoins sa classe à l’Académie de Nice l’été suivant. J’ai pu ainsi découvrir sa pédagogie et sa conception de l’art musical.
- Comment se passaient les leçons au C.N.S.M.D.P. ?
Il n’apportait pas souvent son saxophone car il avait des problèmes de dos. Les étuis de l’époque étaient volumineux et pas toujours facilement transportables.
J’ai le souvenir en particulier d’un cours de rattrapage un samedi matin à 8h30. Le rituel de chaque leçon était immuable : gammes majeures ou mineures, plusieurs études
dont une de FERLING « transposée » et une étude technique (LACOUR, MULE etc.) au minimum, et, bien entendu, une oeuvre du répertoire différente chaque semaine.
Je lui présente mon travail et lui joue le «Concerto» de TOMASI… DEFFAYET, ne semblant pas du tout satisfait de mon interprétation, prend soudain son saxophone.
Il me joue alors d’une traite l’«Andante» du Concerto… un souvenir extraordinaire : je m’en rappelle comme si c’était hier.
- Pourrais-tu nous décrire son enseignement ?
Son enseignement était extrêmement rigoureux… Il était d’une grande exigence, travaillait beaucoup et dormait peu. On ne peut pas dire que la patience faisait partie de ses qualités.
C’était un personnage de son époque : on retrouvait d’ailleurs cette dureté chez certains chefs, mais également chez de nombreux enseignants du C.N.S.M.D.P : le Conservatoire,
rue de Madrid, représentait une institution !
En arrivant au C.N.S.M.D.P, je ne jouais pas trop mal du saxophone, mais c’est Daniel DEFFAYET qui m’a appris à faire de la musique : c’était un Maître, son enseignement portait avant tout
sur le style et le phrasé. Il se définissait lui-même comme un grand romantique. Il était passionné par la musique et prenait ses références dans le répertoire du violon ou dans celui de l’orchestre symphonique. Son oreille était d’une précision chirurgicale et portait une attention particulière sur la justesse. Son passé de violoniste y étant pour beaucoup.
Daniel DEFFAYET ne sollicitait pas particulièrement les compositeurs. Il se considérait plus comme un « Artiste Musicien » : soliste, chambriste et musicien d’orchestre. - Pourrais-tu nous parler de son jeu ?
Une sonorité avec un timbre particulier et exceptionnel. Il vous suffit d’écouter un des plus beaux disques de saxophone à mon sens, dans lequel D. DEFFAYET tient un rôle prépondérant : La Création du Monde, dirigée par Leonard BERNSTEIN, avec l’Orchestre National de France. J’ai d’ailleurs une anecdote qui me revient en mémoire : les musiciens attendaient désespérément dans le studio d’enregistrement l’arrivée du chef, qui les rejoint finalement avec beaucoup de retard. Il prend la baguette et dirige l’oeuvre d’un seul tenant. Une fois la double barre passée, le « maestro » pose la baguette et indique la fin de l’enregistrement : une prise et le disque était achevé ! Cela montre l’état d’implication musical des musiciens et le niveau de l’époque.
Une autre anecdote me revient : je jouais à ses côtés une pièce de GERSHWIN en déchiffrage. Il m’avait alors interdit d’emprunter les partitions pour les travailler chez moi.
Deux concerts étaient au programme et j’avais intérêt à être au niveau qu’il désirait ! Je lui dois énormément : c’est lui qui m’a permis de faire mes premiers pas dans les orchestres. Je me souviens, d’ailleurs, qu’il m’a préparé pour jouer le célèbre solo des Tableaux d’une exposition en me demandant d’aller voir le basson pour prendre son « la bémol » et jouer ainsi avec le même diapason.
Son impact au sein des orchestres symphoniques était indéniable : l’exemple le plus marquant étant l’enregistrement de l’Arlésienne de Georges BIZET avec la Philharmonie de Berlin dirigée par Herbert Von KARAJAN, qui lui a même envoyé son jet privé pour être sûr de son arrivée ! Petit témoignage personnel faisant suite à l’enseignement de Daniel DEFFAYET. Les premières oeuvres pour saxophone à l’orchestre, comme par exemple Werther de Jules MASSENET, nous montrent clairement la direction de l’instrument d’Adolphe SAX.
Le jeu du saxophone « classique » y est complètement perceptible : « piano » dans le registre grave qui fait place à une longue phrase chantée en solo. Le saxophone est intégré aux autres instruments de l’orchestre. À mon sens, le jeu de Daniel DEFFAYET est en totale adéquation avec ce postulat : délicatesse, style, phrasé, souplesse… Il était clairement dans la continuité de l’enseignement du Patron : Marcel MULE.Je regrette, pour ma part, que nous ayons laissé tomber un certain répertoire qui forme notre identité et notre patrimoine, comme les grandes oeuvres pour quatuor de DÉSENCLOS, PIERNÉ…
L’aura de Daniel DEFFAYET était telle, que j’ai continué à prendre des cours avec lui, bien après ma sortie du C.N.S.M.D.P. Je me demande même parfois ce qu’il penserait de mon jeu…
Merci, Maître !
Interview réalisée par Jérôme LARAN,
C.M.A. Paul Dukas Paris XII,
LUCA School of Arts de Louvain (Belgique),
Président de l’A.Sax