Entretien avec Efrem Roca avec Pedro Leite Teixeira

Entretien avec Efrem Roca, par Pedro Leite Teixeira

 

Né à Barcelone où il obtient le titre de Supérieur de saxophone, Efrem Roca poursuivra ses études au CNR de Musique et Danse de Montpellier, où il perfectionnera la discipline auprès de Philippe Braquart en obtenant la Mention Très Bien au Cycle de Spécialisation en Saxophone et Musique de Chambre.
Il a enregistré et publié un CD pour le label “Ars Harmonica”; Hommage à VENTAS (SAX 3+1), et a publié le Concerto pour deux violons en ré mineur BWV 1043 de J. S. BACH pour Octet de saxophones, de la maison française B. G. Editions.
En dehors de la vie de concert, il s’est consacré de façon intense à l’enseignement à Tarragone, Barcelone, France et actuellement en Andorre où il enseigne le saxophone au Conservatoire d’Andorre.
Efrem Roca est sponsorisé par la prestigieuse marque Henri SELMER Paris depuis 2007. En 2013, avec l’aide de la maison Selmer et la motivation d’Efrem Roca, le projet Andorra Sax Fest a démarré.

 

Pedro Leite Teixeira.: Bonjour, Efrem.
Je commence par te remercier de ton attention et de ta disponibilité.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Comment avez-vous découvert de saxophone ? Où avez-vous étudié et Avec qui ?

Efrem Roca.: Je suis né à Barcelone. Quand j’avais 6 ou 7 ans, mes parents m’ont fait prendre des cours de musique. J’ai fait deux années au Conservatoire du Bruc. Ensuite, mon père a été transféré à Terragona, pour son travail, et nous avons déménagé à Tarragona, plus précisément à Baix, un petit village à côté de Tarragona. J’y ai poursuivi mes études. J’avais 9 ou 10 ans quand j’y suis arrivé. On m’a montré les trois instruments disponibles : trompette, saxophone et clarinette. J’ai choisi le saxophone.

P.: Mais cela a été dans une école d’orchestre d’harmonie ou dans une école?

E.: Au conservatoire de Tarragona.
J’ai choisi le saxophone par sa forme et parce que cet instrument m’a plu. Cela a été le commencement de tout. Je suis resté à Tarragona jusqu’à mes 19 ans. J’avais fini le « degré moyen » de saxophone et j’ai commencé à étudier l’Ingénierie Chimique, mais c’est quelque chose qui ne m’a absolument pas plu. Le saxophone était beaucoup plus intéressant ! J’ai fait le niveau supérieur de saxophone à Barcelone, je suis retourné au conservatoire municipal – à l’époque, c’est le seul qui y existait -, le Conservatoire du Bruc parce qu’il se situe dans la rue Bruc, dans le croisement des rues Bruc et Valencia. J’ai poursuivi mes études au conservatoire supérieur jusqu’en 1999. Par les temps qui couraient, Christophe Bois donnait des cours à Tarragona une fois par mois et j’y allais. J’ai donc découvert, par les cours de Cristophe Bois, l’école française du saxophone et ceci à une époque où il n’y avait pas YouTube, ni aucune des ressources qui existens de nos jours. Je me suis rendu compte que cela était très différent de ce que je faisais, que le saxophone que j’étudiais était différent du saxophone que j’écoutais dans ces cours. J’ai décidé qu’il fallait que j’étudie un peu en France si je voulais me dédier sérieusement à la musique. À 26 ans, j’ai tout laissé derrière en Catalogne et je suis arrivé à Montpellier. Je ne savais pas parler français, je ne savais rien. J’ai commencé à étudier avec Philippe Braquart. J’étais sensé y rester pendant un an, mais, au bout de cette année-là, je me suis dit que ce n’était pas assez et j’ai fini par rester 3 ans en France. J’ai fini le cycle spécialisé. Ces trois années ont été de grande importance pour moi, car elles m’ont permis de découvrir l’essence de l’école française du saxophone en toute sa splendeur. Ces trois années ont vraiment été très importantes dans ma vie: j’ai beaucoup travaillé, j’ai découvert des choses, j’ai réfléchi… J’avais du temps et je pouvais travailler beaucoup de temps par jour. Et voilà. Ma vie étudiante s’est donc terminée par ces trois années. Bon, la vie étudiante dans le papier, car on n’arrête jamais d’étudier ni de travailler. Je n’ai jamais eu un professeur fixe. Après cette expérience, j’avais 29 ans.

P.: Est-ce que vous pensez que cette expérience a changé votre façon d’enseigner et de vous relationner avec les élèves et votre pédagogie? Quel est l’objet central de votre pédagogie ?

E.: Je pense que oui. Dans la période où j’ai été en France, j’ai beaucoup appris sur l’instrument, sur comment enseigner… Mais je pense que la pédagogie en soi va beaucoup plus loin que tout cela. Je pense que demain je n’enseignerai plus comme aujourd’hui et cela parce que tu me diras sûrement quelque chose qui me fera réfléchir et changer la façon dont je fais les choses. Cela est très bon. Je pense que la pédagogie évolue et change selon nos expériences personnelles et nous évoluons chaque jour, nous changeons chaque jour. Il ne me plairait pas d’enseigner demain tel que je le fais aujourd’hui. J’enseigne beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans, quand j’ai commencé à donner des cours. Je pense que la pédagogie est quelque chose qui va au-delà de toute la technique de l’instrument : elle a à voir avec les expériences et ces expériences peuvent venir de n’importe quel côté.

P.: Oui, il est vrai que la pédagogie a beaucoup à voir avec les expériences. Et, au niveau du saxophone et de la musique ? Si vous avez un nouvel élève, quelles sont les choses que vous essayez de lui inculquer ?

E.: Quand j’ai face à moi un nouvel élève, la première chose que je fais est essayer de découvrir quelles sont ses inquiétudes, pourquoi a-t-il besoin de la musique, qu’attend-il de la musique? À partir de là, l’élève et le professeur parcourent un chemin ensemble. C’est une chance de pouvoir le faire individuellement avec chacun, car nous pouvons ainsi beaucoup faire pour chaque élève, pour notre classe. Cet élève qui vient d’arriver est égal à lui-même, tous les élèves sont différents. C’est une lignée très individualisée que nous créons et elle doit s’adapter aux nécessités de l’élève. Ce que je cherche est la satisfaction avec tous les élèves au moment de faire de la musique, mais aussi que leurs enfants finissent par faire de la musique. J’ai entendu des gens dire que leurs enfants ne feraient jamais de musique car ils avaient eu des professeurs qui leur avaient fait passer de mauvais moments.

E.: Cela me rend triste! Les choses doivent, de mon point de vue, aller beaucoup plus loin. Mon objectif est que leurs enfants finissent par faire de la musique. Cela demande du travail : les accompagner, voir ce dont ils ont besoin et leur donner ce dont ils ont besoin. Que chacun fasse de la musique ! Chacun à son niveau ! Il y a des gens qui n’arrivent qu’à jouer quelques petites chansons et cela est très bien, cela ne fait pas moins d’eux. Je pense que ces personnes ont le même droit d’apprendre la musique que ceux qui ont beaucoup de talent. C’est comme les gens qui font de la course : je cours aussi et personne ne court de la même façon – il y en a qui font des marathons en 6 heures et il y en a qui font le même en 2 heures -, mais tous se dédient à la même chose, au même effort. Cet effort est de découvrir la limite de leurs possibilités. Avec les musiciens, la même chose est vraie : chacun a ses possibilités physiques et mentales et chacun pousse jusqu’à sa limite. Il faut essayer de connaitre au maximum les capacités de chaque personne pour qu’elles puissent être capables de faire de la musique et être satisfaites de ce qu’elles font.

P.: Je crois que c’est quelque chose de très important. Chaque personne a sa valeur.
Quelles sont vos œuvres préférées du répertoire du saxophone ?

E.: Je suis très attiré par le répertoire classique et j’aime beaucoup jouer ce répertoire. Je fais un peu de musique contemporaine et il y a des œuvres contemporaines qui me plaisent beaucoup. Cependant, si je dois vraiment passer du temps sur une œuvre, je passerai plutôt du temps sur les classiques : Glasounov, Creston, Ibert… C’est du répertoire que j’aime beaucoup jouer et que j’aime beaucoup travailler. Il y a aussi de la musique actuelle qui est très bonne, de la musique qui a vraiment du sens quand on investigue et qu’on plonge vraiment dedans, mais il faut faire plus d’efforts pour ce type de répertoire. Si la musique est bien écrite, ce sera de la bonne musique.

P.: Si vous le permettez, parlons un peu de l’«Andorra Sax Fest». Vous êtes l’organisateur de ce festival que nous connaissons tous dans le monde du saxophone. Comment est née l’idée d’organiser un festival de saxophone et pourquoi à Andorre ? Vous m’avez dit que vous êtes né à Barcelone. Pourquoi ne pas l’avoir organisé à Barcelone ou à Tarragona ?

E.: Comme j’ai dit avant, la vie de chacun se fait à partir de ses expériences. L’Andorra Sax Fest est un cumul de coïncidences et d’expériences qui ont fait qu’au final le festival est né. Quand je suis arrivé à Andorre, en 2002… Pour ceux qui ne connaissent pas, Andorre est un petit pays qui a 70 000 habitants. Il y a 80 ou 90 ans, il n’y avait que des champs «de vaches et de patates ». Il n’y avait pas de musique… Il n’y avait rien. Un pays qui était couvert de neige une grande partie de l’année et il n’y avait pas grand-chose. À partir des années 50 ou 60, ou même 70, on a commencé à développer toute une structure commerciale qui a grandement participé au développement du pays. Avec cette évolution, la musique y est arrivée, avec toutes les autres choses. Le conservatoire d’Andorre existe depuis 35 ans. Il est très récent. Il n’y avait pas beaucoup de structures, ni de vie musicale, comme celle qui existe de nos jours. Quand j’y suis arrivé, en 2002, les choses avaient déjà beaucoup changé, mais j’arrivais de Montpellier, où il y avait un opéra, des concerts à n’importe quel moment et partout et où il y avait beaucoup de vie.

P.: C’est un grand changement.

E.: Il y avait beaucoup de vie à Montpellier. Je suis arrivé à Andorre et j’ai pensé que j’étais perdu sans pouvoir assister à des concerts ou en faire (ce qui était très difficile). J’ai même pensé à quitter Andorre, mais par ces moments-là j’ai aussi rencontré celle qui est aujourd’hui mon épouse, qui est quelqu’un naturel d’Andorre. Je suis tombé amoureux d’elle et aussi de son pays. J’ai décidé de voir les choses autrement: «s’il n’y a pas beaucoup, il y a beaucoup à faire!» – j’ai pensé -. Quand on arrive à un champ où il n’y a rien on peut se dire qu’il n’y a rien ou on peut décider de faire quelque chose.

P.: Il peut y avoir du travail à faire.

E.: Je parle, bien sûr, d’Andorre, ce qui ne veut pas dire que le monde du saxophone n’était pas développé.
Je faisais beaucoup de concerts à l’époque, je jouais beaucoup. J’étais artiste de la marque Selmer. Selmer Espagne m’envoyait dans beaucoup d’endroits pour jouer et pour faire des Master-class. La vie a fait que je me suis retrouvé chez toi : je me suis retrouvé à Aveiro [Portugal].

P.: Un bel endroit.

E.: C’était une invitation du Quad Quartet avec João Figueiredo. Ils nous ont invités. J’intégrais le quatuor Tresmesu. Ils nous ont invités pour faire un concert et des Masterclass. Nous avons reçu cette invitation 2 fois : en 2009 et en 2010.

P.: On a commencé à organiser beaucoup de choses au Portugal à ce moment-là.

E.: Le festival était très bien organisé, avec beaucoup passion, beaucoup de rigueur. Je pensais que cela me donnait envie. Cela devait être tellement gratifiant d’avoir quelque chose comme celle-là chez soi. Cela a été une expérience ! De la part de Selmer Espagne, Manuel Fernández m’a demandé pourquoi n’organisais-je pas un événement comme celui-là. Il me connaissait déjà un peu, il savait comment j’étais. Je pense que l’idée était déjà préparée depuis un moment et il ne fallait que donner une dernière impulse pour que tout se mette en route. Cela a été le début de tout. Beaucoup de choses ont aidé ce démarrage : il n’y avait rien à Andorre, les choses que j’avais vécues… Tout s’est cumulé et finalement est né le festival. J’amène toujours les choses à un extrême : si je fais quelque chose, elle doit être extrêmement bien faite. C’est quelque chose qui m’arrivait déjà en tant que saxophoniste : quand une personne qui a énormément de talent passait une heure sur quelque chose, moi, j’y passait 3 heures. Ce n’était pas difficile pour moi d’y passer 3 heures et, en plus, le son était meilleur après. Quand on dédie beaucoup de temps à quelque chose, on finit par s’améliorer de plus en plus. La chose que j’avais très claire dans ma tête était que si j’allais organiser un festival, il faudrait que ce festival soit très bien fait. J’ai la chance d’avoir un beau-frère, qui s’est marié avec ma sœur, qui se dédie à l’audiovisuel – il est producteur -. Il fait le travail d’image et de publicité.

P.: La publicité peut tout changer.

E.: De nos jours, c’est ce qui fait la différence. Je rentrais d’Aveiro et je discutais avec lui et je lui disais que j’avais envie d’organiser un festival et il m’a rapidement dessiné un logo : c’était le début ! Je m’occupe de la partie technique : les contacts avec le monde du saxophone. Il s’occupe de tout ce qui est image. Nous arrivons à nous complémenter. Ce festival ne serait jamais ce qu’il est, s’il n’y avait pas eu quelqu’un avec des contacts à Paris, avec Selmer, et sans quelqu’un qui sache montrer – il sait le montrer ! -. Vous voyez ce qu’il vous montre. L’Andorra Sax Fest est aussi l’envie que nous avons eue de travailler. Andorre nous donne aussi des facilités économiques et organiser un festival de cette ampleur n’est pas possible si on n’a pas un support économique.

P.: Oui, c’est très important!

E.: Même si on a très envie de faire des choses: s’il n’y a pas un vrai support économique derrière… J’ai toujours essayé de chercher la façon d’avoir ce support économique: j’en ai discuté avec le gouvernement, avec les maires… Ce qu’il fallait pour trouver de l’argent. On a aussi de l’argent provenant de privés. Tout cela a été rendu possible par le travail : avoir l’idée de ce que l’on veut faire, trouver l’argent pour le faire et travailler beaucoup ! Il faut que ce soit clair ! On ne peut pas chercher à en tirer une compensation économique. On ne se fait pas d’argent avec ces choses.

P.: Cela peut être un peu difficile. Comment arrivez-vous à tout concilier ? C’est un travail ardu, c’est-à-dire, vous organisez ce festival, vous êtes constamment en contact avec tous les sponsors et tous les contacts du monde du saxophone (vous parlez avec les professeurs, etc.). Est-il possible de le faire pendant que vous donnez vos cours et jouez en même temps ?

E.: Oui, c’est possible. On dort très peu…!

P.: J’imagine.

E.: Je dors peu. Je ne dors que 4 à 5 heures par nuit et cela me suffit. J’essaye de faire une sieste d’un quart d’heure ou vingt minutes.

P.: C’est important pour reposer le cerveau.

E.: Oui, mais je suis quelqu’un qui dort peu. Je fais beaucoup de sport et avec cela je me sens en forme. Je fais de l’exercice physique tous les jours : soit je cours, sois je sors en vélo, soit je fais une autre activité physique. Cela me maintient la tête et le corps en forme. Il faut aussi que ce soit clair qu’il faut avoir l’illusion de monter un projet. Si on a cette illusion et l’envie de faire des choses, le travail n’est pas difficile. J’y dédie beaucoup d’heures. C’est un festival qui a lieu chaque année et qui a une liste de dépenses assez importante (il faut que tous les professeurs soient payés), il faut faire tous les horaires… Tout cela demande du temps. Mais, en ayant envie et en y prenant du plaisir, cela devient même agréable. Tout se résume en : avoir envie de le faire et vouloir vraiment le faire. Je l’ai déjà dit… Ma décision a toujours été de ne pas me faire de l’argent avec ce festival. J’aurais pu définir un salaire pour moi, mais j’estime qu’il est beaucoup plus important de donner tous les moyens au festival et si je me fixais un salaire, il y aurait moins d’argent pour le festival. À chaque fois il prend de l’ampleur et il est bon que tous les moyens soient mis à disposition. En fin de comptes, ce festival est organisé par deux personnes : mon beau-frère et moi-même. Finalement, cela prend plus de temps, mais tout est beaucoup plus facile et la coordination se fait beaucoup plus rapidement. Nous divisons le travail : chacun fait ce qu’il a à faire et tout va bien. Il est sûr que, environ un mois avant l’Andorra Sax Fest, il faut faire appel à quelques professionnels et ces personnes sont, naturellement, payées pour leur travail. Tout sort du même endroit. Je distribue le travail à chacun et cela fonctionne : ce sont des professionnels. Il y a aussi des volontaires qui travaillent pendant la semaine du festival qui aident au moment du concours. Dans l’idéal, il y aurait 10 Efrem, mais on explique le travail aux volontaires et ils le font à merveille, mais il y a du travail qui doit être réalisé par des professionnels.

P.: Évidemment. C’est très important. Il y a toujours beaucoup de jeunes au festival : au concours, aux Masterclasses, pendant toute la semaine… Que pensez-vous des nouvelles générations de saxophonistes : de leurs goûts musicaux, de leur manière de voir la musique et la carrière de musicien ? Qu’en pensez-vous ?

E.: Je pense que le monde du saxophone change petit à petit. Le concours est une plateforme que j’aime bien garder. Le concours est une bonne manière de donner de la visibilité aux saxophonistes : celui qui gagne est affiché en premier plan. Je me creuse la tête : je pense qu’il faut que cela évolue encore plus. Le festival doit évoluer et doit se diriger vers de nouvelles directions, même si je ne suis pas capable de dire lesquelles à l’heure actuelle. J’essaie toujours que le festival soit le plus complet possible : il y a le concours, des masterclass, des présentations des différentes marques, de la musique dans la rue («Walk in street music»)… À un moment, j’ai essayé d’organiser quelques concerts que j’appelais «Off festival»: quelques concerts dans la rue… Cela m’était un peu difficile d’organiser. Et maintenant, avec le COVID, c’est encore pire !

P.: Très difficile!

E.: Ce que j’aimerais serait de commencer à organiser toute une série de réunions pendant le festival, des espèces de conversations où tout saxophoniste puisse parler de son point de vue sur la situation du saxophone. Actuellement, la technologie est en train de nous changer. Le format du concert évoluera, lui aussi, à un moment ; l’interaction qui existe de plus en plus avec d’autres disciplines… Quant au concours, il pourra aussi changer un jour. Il y a des choses qui m’inquiètent, comme la question de l’orchestre symphonique : il n’y a pas de saxophones dans l’orchestre symphonique.

P.: C’est vrai.

E.: C’est une chose absurde! Pourquoi n’est-il pas intégré dans cette formation ? Il y a quelques œuvres, mais il n’est pas vraiment intégré. Pourquoi ? C’est un sujet qui m’inquiète et qui est récurrent dans mes discussions avec Claude Delangle, par exemple. Par exemple, dès l’année dernière on a commencé à faire des concerts (qui se feront aussi cette année) des professeurs avec orchestre symphonique. J’essaie toujours d’intégrer des saxophonistes dans l’orchestre, pour peu qu’ils soient. Cela se fera cette année. On peut entendre dire que c’est un sujet sans importance, je pense qu’il est très important. C’est comme une sorte de discrimination. De nos jours, on cherche l’égalité avec personnes : on devrait faire la même chose avec le saxophone, on devrait lutter pour être bien vus dans le panorama musical international. Je ne sais pas si tu es au courant de l’existence de la Fédération Mondiale des Concours Internationaux de Musique [World Federation of International Music Competitions].

P.: Pardonnez-moi, je ne le savais pas.

E.: C’est une fédération qui englobe les meilleurs concours de toutes les disciplines de tout le monde: il y a des concours de violoncelle, de piano, de chant, de tout… Je suis entré dans cette fédération l’année dernière.

P.: Félicitations!

E.: Savez-vous combien de concours de saxophone il y a?

P.: Je n’ai aucune idée. Zéro ?!

E.: Oui.

P.: Il y en a un maintenant. Félicitations pour cela ! Je pense que vous avez raison quand vous dites que nous sommes un peu marginalisés dans le monde de la musique. Au final, nous sommes des solistes et c’est tout.

E.: Pourquoi sommes-nous marginalisés? Ce sont les autres qui nous marginalisent ou nous nous marginalisons nous-mêmes ? S’il n’y avait aucun concours [de saxophone] dans cette fédération, ce n’est pas parce qu’on ne nous laisse pas y entrer : j’ai pu y entrer – on paye les droits d’inscription, on doit réunir quelques conditions (il faut que le concours se fasse en trois tours, plus d’autres choses concernant de jury et d’autres encore), on entre et c’est fait -. S’il n’y avait aucun concours, qu’est-ce que cela veut dire ? Y a-t-il peu de concours ? Sont-ils de petits événements ? Est-ce que nous ne voulons pas y être ? Que se passe-t-il ? Nous nous éloignons ou les autres nous éloignent ? Je crois que ce sont des questions que chacun doit se poser. Ce sont des débats qu’on doit créer. J’aimerais les apporter au Sax Fest pour que chacun donne son avis. Je ne sais pas si c’est la faute des autres ou si nous y sommes pour quelque chose… Je laisse la question en l’air… Ce sont des choses auxquelles je réfléchis.

P.: On devrait parler de ce genre de questions.

E.: Ce qu’il faut que nous ayons clair est qu’on doit, parfois, faire de certaines choses pour que les autres nous prennent au sérieux. Il faut que nous communiquions, que nous nous approchions des autres. Nous ne pouvons pas passer notre vie à faire des festivals de saxophone entre nous. On doit faire un effort pour nous approcher de la société musicale en général. Je pense que le pas d’entrer à la World Federation a été important. La Fédération a un accord avec la revue de BBC Music, une revue de la BBC, et cela fait que les concours ont droit à quelques pages dans la revue. L’année dernière, notre première année à la Fédération, nous avons eu droit à publier une photo. Cela a été una photo du vainqueur [Valentin Kovalev]. La Fédération Mondiale nous donne une visibilité. Je pense que nous devons essayer de nous approcher des autres petit à petit. Cela répond un peu à la question que tu m’as posée au début par rapport aux changements… Je pense qu’il faut écourter la distance avec les autres musiciens. Nous sommes des saxophonistes classiques : peut-être on joue un peu de jazz de temps en temps, mais nous sommes des classiques. Et c’est pour cela qu’on devrait faire plus de pression avec les orchestres. Il devrait y avoir des saxophones dans les orchestres. Nous nous limitons à jouer en « solo » avec un orchestre ou en quatuor ou d’autres formations… La plupart des musiciens doivent penser que nous avons le jazz et que nous n’aspirons à rien d’autre. Non, ce n’est pas comme ça. Celle-ci est ma réflexion sur ce que les saxophonistes dits classiques devraient faire de nos jours. On devrait être ouverts à plus de choses.

P.: Pour finir ces réflexions, aimeriez-vous laisser un message aux jeunes saxophonistes français et de tout le monde?
Vous m’avez parlé de problèmes très concrets de la vie d’un saxophoniste. Nous sommes, finalement, marginalisés en ce qui concerne l’orchestre symphonique, mais un peu aussi en ce qui concerne la vie commune avec les autres musiciens (violonistes et violoncellistes, par exemple). Aimeriez-vous laisser un message aux jeunes ?

E.: Je pense qu’il faut que les jeunes comprennent très bien qu’il faut beaucoup travailler. Je pense que les saxophonistes travaillent déjà beaucoup au niveau individuel. Il faut aussi penser que, même si on travaille énormément, si on ne le montre pas, cela ne va pas servir à grand-chose. C’est un peu ce qu’on essaie d’inculquer avec l’Andorra Sax Fest. Tu as dit qu’il y a beaucoup de personnes qui connaissent l’Andorra Sax Fest, mais il n’y a que les saxophonistes qui le connaissent. J’aimerais que le monde musical le connaisse. C’est un vrai travail et ce travail pourra être aidé par l’existence d’autres festivals. Il devrait y avoir 30 Sax Fests au monde.

P.: J’en suis d’accord.

E.: Mais je ne le dis pas comme un moyen de faire de l’argent. Ce n’est pas un business. Peut-être, cela le deviendra un jour, mais ce n’est pas le cas de nos jours.

P.: Je pense qu’il est impossible de vivre de cela aujourd’hui.

E.: C’est difficile. Nous sommes tellement petits, qu’il faut que nous travaillions énormément. D’autant plus avec la situation que nous vivons actuellement : il n’y a même plus de concerts! Moi-même, j’ai prévu de faire l’Andorra Sax Fest le 26 mars, mais je ne sais pas ce qui va se passer. C’est le travail d’une année entière pour arriver 3 semaines avant l’événement et qu’on nous dise, comme l’année dernière, que cela ne pourra pas avoir lieu.

P.: Rien n’est sûr maintenant.

E.: Donc, pas de souci! On le fera l’an prochain si on ne peut pas le faire cette année. Cette année, j’ai ouvert les inscriptions et les 70 places qu’il y avait sont parties en une semaine : il y a 15 personnes en liste d’attente. On me demande s’il y a déjà une place disponible et je réponds que non.

P.: C’est un grand travail et je voudrais vous féliciter pour cela, car c’est quelque chose de très important pour le saxophone et pour les saxophonistes. Ce sont des expériences qu’il faut que nous vivions tous dans la vie.

E.: J’aimerais que ce soit un exemple. Je ne suis pas meilleur que les autres. Si j’ai commencé à faire un Andorra Sax Fest parce qu’il y avait un Aveiro Sax Fest, beaucoup de gens pourront copier l’Andorra Sax Fest. Ils sont peut-être venus, se sont dits que c’était quelque chose de très intéressant et ont décidé de faire la même chose. Il faut faire des choses, il faut essayer de donner des opportunités aux gens de jouer. Il faut que les marques soutiennent ce genre d’événements – je pense que cela est très important. J’ai une relation étroite avec me monde de l’athlétisme : j’étais même le vice-président de la Fédération d’Athlétisme d’Andorre. J’y ai beaucoup appris. On est à des années-lumière du monde de l’athlétisme par rapport à l’organisation des événements, à la visibilité… Je ne parle même pas du football, qui est l’extrême de ce que nous parlons. Les marques font déjà beaucoup, mais elles pourraient peut-être s’impliquer un peu plus dans ce type d’événements et les aider en étant présentes. Des marques m’ont dit beaucoup de fois : « Il ne m’est pas rentable d’aller faire une exposition… ». Ce n’est pas rentable ?! Il y a un proverbe espagnol qui dit « Du pain pour aujourd’hui et de la faim pour demain. », c’est-à-dire, il faut qu’on investisse, qu’on fasse des efforts.

P.: Il faut qu’on pense à comment seront les choses demain. C’est très important !

E.: Même si je ne gagne rien en faisant ce festival, je gagne des choses: je ne ferais rien si je ne l’organisais pas. On doit tous travailler ensemble. Et les gens qui viennent contribuent aussi à ce grand travail. De 70 participants, il n’y aura que 6 lauréats. Mais finalement tout le monde est vainqueur. La personne qui a la première place a travaillé à son niveau, a réussi à y arriver : elle aura une vidéo sur YouTube, une bonne «carte» de présentation. C’est une semaine dans un endroit où il y a beaucoup de saxophonistes, des professeurs… C’est une expérience que je recommande à tout le monde. C’est un effort global : je fais une partie importante de ce qui est le festival, mais le Sax Fest est l’ensemble de toute personne qui y participe. On doit travailler ensemble.

P.: Cela me semble juste.
Efrem, je vous remercie d’avoir accepté mon invitation pour discuter un peu avec nous. J’espère que l’Andorra Sax Fest puisse se réaliser cette année. Je suis d’accord avec vous : je pense que cela nous manque.

E.: Si l’A.SAX a envie de se faire représenter au festival, dites-le-moi. On fera pour vous aider

P.: Merci beaucoup!

E.: Je pense que c’est endroit que les français, les portugais, les espagnols ont juste à côté. Il est très facile d’arriver ici. Si le festival se faisait en Thailande, ce serait beaucoup plus compliqué.

P.: Un petit peu.

E.: Il y a surtout beaucoup d’espagnols, parce que cela tombe au moment de la Semaine Sainte. Il y a aussi des japonais, des chinois… Beaucoup d’entre eux vivent en Europe, mais cela fait partie des endroits où il faut qu’on aille.

P.: C’est important.
Une fois de plus, un grand merci et félicitations pour la Fédération Mondiale des Concours Internationaux de Musique, pour l’Andorra Sax Fest et pour tout ce que vous faites pour le monde du saxophone.

E.: Merci à vous de vous avoir intéressés et d’aider à donner de la visibilité à cet événement.
Bonne continuation !

P.: Merci. À bientôt !

Pedro Leite Teixeira

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